Dans les coulisses de Kaymu, le eBay de Rocket Internet au Maghreb
On parle souvent des levées de fonds des services de Rocket Internet, de leurs campagnes de comm agressives et de leurs autres scoops et scandales (tous les articles de Wamda sur Rocket Internet sont à relire ici), au point d’oublier que ces sites sont aussi des startups, avec des entrepreneurs et des équipes qui travaillent dur et des marchés à éduquer et conquérir.
Pour Fanny Ponce, la responsable Afrique du Nord de Kaymu, la marketplace la plus importante d’Afrique, qui appartient comme Jumia, Hellofood, Lamudi, Carmudi et Jovago, à Africa Internet Holding (AIH), la joint venture créée par Rocket Internet en Afrique et détenue à parts égales par Rocket Internet et les opérateurs téléphoniques africains MTN et Millicom, la pression et l’insécurité sont aussi fortes que pour toutes autres startups. Elle a accepté de nous parler de ses défis et de ses succès au Maroc, en Tunisie et en Algérie.
Former et éduquer avant de grandir
Le site nigérien, lancé en octobre 2013 au Maroc et en janvier 2014 en Tunisie et en Algérie, a pour objectif de devenir le eBay de l’Afrique du Nord. Mais pour cela, il doit d’abord s’assurer d’attirer suffisamment de vendeurs sérieux sur la plateforme.
Pour cela, l’entreprise doit non seulement convaincre les petits commerçants de rejoindre la plateforme mais aussi les former à la vente en ligne, une nouveauté que peu maitrise. « On passe énormément de temps à former les vendeurs », explique Fanny Ponce.
L’ancienne consultante française a donc monté des équipes 100% locales dans chacun des trois pays pour former les vendeurs. Après une première prise de contact par téléphone, les formateurs rencontrent les vendeurs en personne. Cette initiative peut sembler lourde et peu scalable mais représente une étape indispensable pour Fanny Ponce. Elle estime, en effet, que des formations bien faites couplées à une communauté de vendeurs engagés permettra de déléguer la formation aux vendeurs eux-mêmes dans un second temps. « Notre objectif c’est qu’un vendeur organise lui-même une formation avec les vendeurs de son quartier », ce qui est déjà arrivé une fois annonce, heureuse, la manager.
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sur la page Kaymu international
Pour cela, Kaymu a commencé à organiser des « Kaymu Universités » au Maroc et Tunisie, c’est à dire des rendez-vous au cours desquels vendeurs et équipe Kaymu se retrouvent pour discuter d’un thème précis. Afin de laisser les vendeurs s’approprier ces rendez-vous, l’équipe organisatrice s’assure qu’il y ait toujours deux vendeurs forts, formés en personne par l'équipe Kaymu, qui pourront mener la discussion.
Le vrai défi dans ces pays où les gens parlent rarement de leur business est de briser le silence. Pour cela, il est important de bien choisir les vendeurs et de mettre les participants en confiance en évitant, par exemple, d’inviter deux concurrents, témoigne Fanny Ponce. Un autre point important, continue t’elle, est de faire comprendre aux commerçants qu’ils sont des pionniers de la vente en ligne et qu’il leur faut se serrer les coudes afin de trouver des solutions à leurs enjeux.
La confiance et le paiement, de faux défis ?
Le manque de confiance et le paiement sont deux défis que les acteurs du e-commerce avouent sans détour rencontrer. Pourtant, pour Fanny Ponce, il ne s’agit que de faux problèmes.
Selon elle, le paiement à la livraison, ou Cash on Delivery (COD), fonctionne très bien. La jeune société propose aussi une solution de paiement Safe Pay, grâce à laquelle l’achat n’est débité qu’après la livraison. Ce système de paiement n’est pour l’instant disponible que par virement bancaire et postal, mais devrait bientôt l’être aussi par carte bancaire au Maroc.
Ces solutions de paiement permettent aussi de répondre au problème de manque de confiance. Fanny Ponce note en effet que côté acheteur, il n’y a pas de raison d’être méfiant puisque les clients n’ont pas de cash à avancer et se disent donc « si je reçois le produit, tant mieux, sinon, tant pis ». Les vendeurs prennent quelques risques supplémentaires puisqu'ils expédient leur marchandise sans savoir si elle va être achetée ou revenir, mais ils n’ont pas le sentiment de prendre des risques inconsidérés, estime t'elle, car Kaymu se porte garant et qu’ils sont habitués, en tant que commerçants, à prendre des risques. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les chiffres avancés par la manager.
L’acquisition d’utilisateurs au Maghreb
Kaymu compterait déjà 2 000 vendeurs au Maroc, et près de 1 300 en Algérie et autant en Tunisie. Une partie de ces vendeurs, généralement les plus gros, sont ceux que l'équipe de Kaymu est allée chercher elle-même, une autre sont venus d’eux-mêmes suite aux campagnes de communication en ligne de l’entreprise et à quelques campagnes de street-marketing. Pour en arriver là, l’équipe a dû adapter sa stratégie d’acquisition aux spécificités de chaque pays.
« Ce sont trois marchés complétement différents », explique, en effet, la manager. « Le Maroc est un marché pratiquement à maturité en matière de web. Les gens maitrisent internet, savent ce que ce qu’est la vente en ligne, c’est beaucoup plus facile en terme d’acquisition de vendeurs. En Algérie, le travail d’éducation des vendeurs est beaucoup plus important, mais l’excitation des vendeurs est beaucoup plus forte et le marché est vierge. »
L’entreprise s’est, d’ailleurs, trouvé débordée en mars dernier quand elle a ouvert ses vannes marketing. « C’est allé beaucoup trop vite » explique t’elle, « on avait trop de demandes [du côté vendeurs et acheteurs] pour une offre qui n’était pas encore prête. C’était fou. » L’équipe a donc dû diminuer ses efforts de marketing afin de prendre le temps de bien former les vendeurs, d’autant qu’ils sont très pointilleux. « C’est super côté qualité [d'avoir des vendeurs pointilleux] mais cela demande beaucoup de travail […] parce que les vendeurs ne sont pas encore autonomes en Algérie, contrairement au Maroc où ils gèrent leurs stocks tous seuls. »
Dès septembre, l’entreprise compte « relancer la machine à fond » et s’orienter vers une stratégie d’acquisition agressive, avec de la communication en ligne et des systèmes de référencement entre commerçants, notamment.
Faire partie de Rocket Internet, un avantage ?
Cette montée en puissance est bien sûre facilitée par le budget confortable mise à disposition des startups de Rocket Internet et d’AIH, mais aussi par le transfert de connaissances entre les startups du groupe. Kaymu, qui partage les mêmes bureaux que Jumia, en sait quelque chose puisque les deux sites de e-commerce partagent leurs bonnes pratiques sur le marché marocain où ils sont tous deux présents.
Pour autant ni Jumia ni Kaymu ne sont à l’abri. Rocket Internet est en effet connu pour fermer très rapidement les sites qui ne décollent pas et qui n’offrent pas la certitude d’une place de numéro rapidement. « Tout peut s’arrêter du jour au lendemain », conclue la manager.